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Nouvelles précisions de la Cour de justice de l’Union européenne sur la règle fiscale française dite du « Butoir »

CJUE 25 février 2021, aff. 403/19 Sté Générale SA c/ Ministre de l’action et des comptes publics

Solution du juge : répondant à une question préjudicielle posée par la Haute juridiction administrative française, la Cour de justice de l’Union européenne précise : « l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui, dans le cadre d’un régime visant à compenser la double imposition de dividendes perçus par une société assujettie à l’impôt sur les sociétés de cet État membre dans lequel elle est établie, ayant fait l’objet d’un prélèvement par un autre État membre, accorde à une telle société un crédit d’impôt plafonné au montant que ce premier État membre recevrait si ces seuls dividendes étaient soumis à l’impôt sur les sociétés, sans compenser en totalité le prélèvement acquitté dans cet autre État membre.»

Faits et procédure : une filiale française de la banque Société Générale avec qui elle forme un groupe fiscalement intégré, a perçu des dividendes attachés aux titres de sociétés établies en Italie, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, diminués des retenues à la source acquittées respectivement dans ces États membres. Dès lors, cette filiale française de la Société Générale a imputé sur le montant de l’impôt sur les sociétés dont elle était redevable en France, au titre des exercices clos en 2004 et en 2005, des crédits d’impôt correspondant à ces retenues à la source sur la base des conventions franco-italienne, franco-britannique et franco‑néerlandaise.

À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale compétente a remis en cause l’imputation d’une fraction de ces crédits d’impôt et revu à la hausse le montant de cet impôt sur les sociétés. Par jugement du 3 février 2011, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des suppléments dudit impôt auxquels la Société Générale, en sa qualité de société mère intégrante, a été assujettie à la suite de ce rehaussement. Par un arrêt du 17 mars 2016, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement et remis ces suppléments à la charge de cette société.

La Société Générale, estimant que la juridiction d’appel a considéré à tort que l’application des règles de calcul du crédit d’impôt était conforme à la liberté de circulation des capitaux consacrée par l’article 63 TFUE, a formé un pourvoi contre cet arrêt devant le Conseil d’État qui a renvoyé à titre préjudiciel, devant la Cour de justice, la question de la conformité à l’article 63 TFUE de la règle fiscale dite du « butoir ».

Commentaires : la règle du « butoir » permet de déterminer le montant maximal du crédit d’impôt étranger imputable sur l’impôt sur les sociétés français.

A titre de rappel, les dividendes de source étrangère font généralement l’objet d’une retenue à la source dans l’Etat d’où ils proviennent ; puis d’une imposition dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Pour éviter la double imposition qui en découle, les conventions internationales de nature fiscale mettent en place l’octroi d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt dû au titre de ces revenus dans l’Etat de résidence. Néanmoins, la règle du « butoir » limite le montant du crédit d’impôt conventionnel effectivement imputable.

En droit fiscal français, cette imputation des crédits d’impôt afférents à des revenus mobiliers de sources étrangères est limitée, en vertu des dispositions de l’article 220.1-b du Code général des impôts, au montant du crédit correspondant à l’impôt retenu à l’étranger, tel qu’il est prévu par les conventions internationales. Lesdites conventions disposent généralement que le montant imputé ne peut excéder la fraction de l’Impôt sur les sociétés français assis sur le montant des revenus donnant lieu à imputation (Voir en ce sens FR 29/21 p. 8).

Dans l’arrêt d’espèce la Cour de justice se prononce sur l’interprétation de la règle fiscale du butoir défendue par le fisc français et selon laquelle, sous réserve des conventions internationales de nature fiscale, l’impôt théorique doit être calculé sur un montant net des charges nécessaires à l’acquisition des revenus en cause (FR 25/21, p. 7).

La Société Générale faisait valoir, en se référant aux arrêts du 28 février 2013, Beker et Beker (C‑168/11), ainsi que du 17 septembre 2015, Miljoen (C‑10/14, C‑14/14 et C‑17/14), que les opérations réalisées par des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés en France, portant sur des titres de sociétés étrangères, sont désavantagées par rapport à celles qui portent sur des titres de sociétés françaises en raison du mode de calcul du plafond du crédit d’impôt imputé en vertu des conventions franco-italienne, franco-britannique et franco-néerlandaise, qui ne permettrait qu’une imputation insuffisante de l’impôt prélevé par l’État membre de la source des dividendes sur l’impôt sur les sociétés dû en France.

Réfutant l’argument de la banque, le juge supranational précise premièrement, et s’agissant des modalités de calcul du crédit d’impôt imputable au titre de l’impôt déjà acquitté sur les dividendes de source étrangère, que l’assiette et le taux de l’impôt sur les sociétés correspondant à ces seuls revenus paraissent être les mêmes que ceux de l’impôt sur les sociétés qui serait effectivement dû s’il s’agissait de dividendes de source nationale.

En particulier, les charges afférentes spécifiquement aux dividendes, déduites lors de ce calcul, conformément à la jurisprudence de la juridiction du Conseil d’Etat, semblent également être déduites du résultat global de la société résidente s’agissant des dividendes de source nationale (Pt.34).

De ce fait, il n’apparaît pas que les dividendes distribués par des sociétés établies en Italie, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas subissent en France une imposition à l’impôt sur les sociétés plus lourde que celle à laquelle sont soumis les dividendes de source nationale.

Bien qu’elle constate néanmoins l’existence d’un désavantage qui découle d’une différence entre l’assiette de l’impôt prélevé par les Etats membres de la source des dividendes et celle de l’impôt français sur les sociétés, lequel détermine le plafond du crédit d’impôt imputable, la Cour note cependant que chaque Etat membre de l’Union européenne est libre de définir, dans le respect du droit communautaire, l’assiette imposable qui s’applique dans le chef de l’actionnaire bénéficiaire des dividendes distribués (Pts 36-39).

Pour la Cour de justice, et en application de sa jurisprudence Haribo Lakritzen (436/08 et C‑437/08) dès lors que le droit de l’Union ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les États membres s’agissant de l’élimination de la double imposition à l’intérieur de l’Union européenne, la circonstance que tant l’État membre de la source des dividendes que l’État de résidence de l’actionnaire sont susceptibles d’imposer lesdits dividendes n’implique pas que l’État membre de résidence soit tenu, en vertu du droit de l’Union, de prévenir les désavantages qui pourraient découler de l’exercice de la compétence ainsi répartie par les deux États membres.

Enfin, la Cour de Luxembourg écarte le moyen allégué par la Société Générale et fondé sur la violation arrêts Beker et Miljoen **précités en ces termes : « ceux-ci n’étant pas transposables à une situation, telle que celle en cause au principal, où une imposition désavantageuse des dividendes de source étrangère que perçoit une société soumise à l’impôt sur les sociétés par son État membre de résidence découle de l’exercice parallèle des compétences fiscales par les États membres de la source de ces revenus et par l’État membre de résidence de la société actionnaire » **(Pt.41).

Comme le relèvent à juste titre S. Austry, S. Dardour-Attali, et A. Marchadier, par la décision commentée, la Cour de justice introduit une distinction subtile entre une discrimination et un désavantage. « En l’occurrence, le plafonnement de l’imputation du crédit d’impôt constitue certes un désavantage dans la mesure où il ne permet pas de compenser totalement l’impôt acquitté dans l’Etat d’origine des revenus. Pour autant, ce désavantage résultant des modalités de calcul du crédit d’impôt ne constituerait pas une discrimination contraire au droit de l’UE dès lors qu’elle résulterait de l’exercice combiné des souverainetés fiscales de deux Etats membres et non de la législation fiscale de l’un d’entre eux » (FR 25/21 n°8).

Tirant les conséquences de cet arrêt de la Cour de justice rendu le 25 février 2021, le Conseil d’Etat a jugé dans son arrêt Sté HSBC Bank Plc Paris Branch en date du 11 mai 2021, que les reversements de dividendes à prendre en compte pour le calcul de la règle du butoir, dans le cadre d’une opération de prêt de titres, ont pour conséquence de ne pas permettre l’imputation des crédits d’impôts conventionnels.

Pour la Haute juridiction administrative française, dès lors que, dans le cadre d’une opération de prêt ou d’emprunt de titres de sociétés établies à l’étranger, la société française est contractuellement tenue de reverser immédiatement aux sociétés prêteuses de ces titres le montant brut des dividendes qu’elle en a retiré et qu’il n’est ni établi ni allégué que ces dépenses auraient eu pour contrepartie un accroissement d’actif, ce reversement est au nombre des charges à prendre en compte pour le calcul du montant maximal du crédit d’impôt imputable, sur l’impôt français, au titre des retenues à la source étrangères (Voir en ce sens FR 29/21 p.9).